Les émissions de polluants des véhicules dépendent plus des types de combustion que des carburants Si les récents pics de pollution en France ont encore été associés aux véhicules Diesel, en réalité, les émissions de polluants dépendent moins des carburants que des types de combustion et des systèmes de dépollution qui sont utilisés, explique Jean-Paul Morin, chercheur à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm). Si les différentes politiques environnementales se sont focalisées sur la question légitime du CO2, les récents pics de pollution ont permis de prendre davantage conscience du problème de santé publique posé par les émissions de polluants. Or, lors des derniers épisodes de pollution, les véhicules Diesel, dominants dans notre parc automobile, ont encore été pointés du doigt alors que la majorité des émissions provenaient de l’épandage agricole. Le trafic routier a bien sa part de responsabilité mais désigner un type de motorisation comme principal émetteur de polluants est désormais un raccourci rapide (sauf par rapport à sa proportion dans le parc automobile). D’une part, parce que tous les carburants – Diesel, essence, GPL, GNV, biocarburants – peuvent émettre des polluants. « Leur niveau d’émission dépend ensuite de leur type de combustion et du système de dépollution qui équipe le véhicule », résume Jean-Paul Morin, chercheur à l’Inserm. D’autre part, parce que les réglementations européennes qui fixent des normes d’émissions de polluants de plus en plus sévères (normes Euro) ont poussé les constructeurs à créer des combinaisons « type de combustion et système de dépollution » permettant de réduire les émissions à leur minimum. C’est particulièrement vrai pour le Diesel. Pour l’essence en revanche, les normes d’émissions de CO2 ont encouragé les constructeurs à utiliser le type de combustion du Diesel – l’injection directe à mélange pauvre – sans pour autant l’accompagner de son système de dépollution, ce qui a pour effet d’augmenter les émissions de polluants. Voici les explications techniques de Jean-Paul Morin. Autoactu.com : Jean-Paul Morin, quels types de polluants pouvons-nous trouver lors de la combustion de chaque carburant et dans quelles proportions ? Jean-Paul Morin : Pour se rendre compte de l’apport de la technologie sur les émissions de polluants, parlons d’abord des émissions des véhicules essence et Diesel qui ne sont pas équipés d’un système de dépollution. Un véhicule essence émet alors quelques pourcents de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrocarbures imbrulés, 1 000 à 2 000 ppm (partie par milliers) d’oxyde d’azote (Nox) et quelques centaines de milliers de particules de condensation liquides par cm3 d’air. Le véhicule Diesel est moins polluant. Il émet 150 ppm de CO, soit 15 à 50 fois moins que les véhicules essence, 150 ppm d’hydrocarbures et 300 à 500 ppm de Nox. En revanche, il émet quelques mg de particules par m3 d’air. Autoactu.com : Avant de continuer, pouvez-vous nous rappeler l’impact de chaque type de polluant sur la santé ? Jean-Paul Morin : Le monoxyde de carbone empêche la bonne oxygénation des organes par le sang. Même à un niveau de concentration modique, il peut poser des problèmes de métabolisme chez les personnes fragiles. Les hydrocarbures imbrulés, surtout les hydrocarbures aromatiques, sont également toxiques pour le métabolisme. On parle souvent des BTX, pour Benzène, Toluène et Xylène, qui sont des hydrocarbures aromatiques issus de l’essence. Ceux là sont effectivement cancérigènes, tout comme les hydrocarbures dits polyaromatiques, les HAP, contenus dans le Diesel. Les Nox sont composés pour leur part de monoxyde d’azote, non toxique, et de dioxyde d’azote (No2) qui est toxique au niveau de concentration où on le rencontre dans l’atmosphère. C’est un irritant bronchique qui a également un impact important sur la fonction cardiaque. Enfin les particules sont cancérigènes lorsqu’elles ne sont pas traitées par catalyse d’oxydation. Lorsqu’elles le sont, il reste le noyau carboné des particules qui peut déclencher des réactions inflammatoires. Le rôle du filtre à particules (FAP) est donc de retenir les particules traitées. Autoactu.com : Vous évoquez le FAP et le traitement des particules sur les véhicules Diesel. Quels sont les moyens de dépollution employés sur les différents types de motorisation et leurs résultats sur les émissions ? Jean-Paul Morin : Les véhicules essence ont été les premiers que l’on a su dépolluer avec le catalyseur trois voies, obligatoire depuis 1992. Cela a permis de réduire les émissions de CO et d’hydrocarbures imbrulés à quelques centaines de PPM et de diminuer de 95% les émissions de Nox. Quelques réglages ont été effectués depuis pour améliorer encore les performances « environnementales » du catalyseur trois voies mais globalement il y a peu d’évolution. Pour les véhicules Diesel, à partir des véhicules Euro 2 (1996) et jusqu’à Euro 5, les constructeurs ont mis en place des catalyseurs d’oxydation. Cela a permis d’éliminer totalement le CO et les hydrocarbures imbrulés. En revanche, cela ne permet pas de réduire les émissions de Nox et de particules. Néanmoins, la catalyse d’oxydation permet de traiter la surface des particules en retirant les hydrocarbures toxiques. Il ne reste donc que le noyau des particules. A partir de 2005, le filtre à particules a été rendu obligatoire pour diminuer enfin les particules et grâce au FAP, on tombe à 0,05 mg de particules par cm3, actif à froid comme à chaud. Le FAP ne peut néanmoins se régénérer qu’en conditions de roulage, car le FAP a besoin de chauffer pour se régénérer. Les véhicules Diesel ne sont donc pas toujours utilisés dans les conditions nécessaires pour la régénération des FAP, ce qui peut poser quelques problème de fonctionnement de régénération efficace. A partir de septembre 2014, l’entrée en vigueur de la norme Euro 6 va obliger les constructeurs à traiter le dernier polluant des véhicules Diesel : les Nox. On va alors employer des pièges à Nox (Nox trap) ou un système de catalyse à l’urée, c’est-à-dire de l’amoniaque. Le mélange amoniaque et Nox permet de faire de l’azote et de l’eau et donc de supprimer au moins 80% des émissions de Nox. Autoactu.com : La norme Euro 6 crée donc une convergence entre le niveau d’émissions réglementaires des véhicules essence et Diesel. Pourtant, des associations environnementales ont tiré le signal d’alarme sur les émissions des nouveaux moteurs essence à injection directe. Pourquoi sont-ils plus émetteurs de polluants que les autres ? Jean-Paul Morin : Jusqu’ici le type de combustion utilisé pour les véhicules essence était celui de la stœchiométrie. Concrètement, il s’agit d’introduire autant d’oxygène que de carburant dans le moteur pour qu’il reste o% d’oxygène. Il reste un peu de Nox que l’on a su réduire avec la catalyse trois voies. Pour réduire les émissions de CO2, les constructeurs ont ensuite utilisé la combustion analogue aux véhicules Diesel actuels, l’injection directe dite à mélange pauvre parce qu’il y a moins de carburant que d’oxygène. Or ce type de combustion ne permet pas d’utiliser la catalyse trois voies pour éliminer les Nox et produit des particules. Ces nouveaux moteurs essence deviennent donc plus polluants que les moteurs essence aux normes Euro 5. Pour y faire face, les constructeurs devront avoir recours au système de dépollution des véhicules Diesel mais les véhicules essence bénéficient d’une dérogation de trois ans pour se plier aux futures normes sur les particules. Autoactu.com : Les motorisations essence à injection directe sont donc plus polluantes que les motorisations Diesel actuelles. Qu’en est-il des motorisations GPL et GNV ou encore des biocarburants ? Jean-Paul Morin : Là encore pour ces motorisations tout dépend de la stratégie de combustion et du système de dépollution qui y est lié. Pour le GNV par exemple, la combustion peut se faire par stœchiométrie ou via un mélange pauvre. Mais si la combustion ne se fait pas bien, il y a un risque d’émissions de méthane imbrulé. Il ne s’agit pas là d’un polluant mais d’un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le CO2. Concernant les biocarburants, l’éthanol mélangé à l’essence se brûle bien en stœchiométrie mais il contient plus d’oxygène. Il y a donc plus de composés oxygénés irritant pour les voies respiratoires qui ne sont pas toujours pris en charge par la catalyse trois voies. Pour les biocarburants Diesel, c’est le même problème. Le moteur n’est pas suffisamment bien adapté pour empêcher les émissions d’hydrocarbures imbrulés issus des huiles végétales. Autoactu.com : En résumé, pouvez-vous nous dire quelle est selon vous la meilleure motorisation thermique pour l’environnement ? Jean-Paul Morin : C’est difficile à dire car cela dépend aussi de la cylindrée du véhicule et de son utilisation mais il est certain qu’il n’y a plus de raison de fustiger les Diesel modernes. Le problème est désormais politique. Il faut avant tout trouver des solutions pour renouveler le parc et y faire entrer les nouvelles technologies. Propos recueillis par Emilie Binois